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Youakim Moubarac - Introduction de la Pentalogie Antiochienne | ![]() |
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Introduction de la Pentalogie Antiochienne / Domaine Maronite
Youakim Moubarac
Motivations Particuli�res
C'est aupr�s de mes neveux et ni�ces de la Diaspora libanaise que l'id�e de
cette nouvelle Pentalogie m'est venue. M�me ceux d'entre ces jeunes qui
�taient n�s au Liban devenaient en Am�rique et en Australie des �trangers
pour leur oncle, comme pour leur grand-m�re. Je n'ai pas voulu contrarier leur
�volution naturelle, ni les emp�cher de devenir ce qu'ils doivent �tre, l�
o� ils sont d�sormais �tablis, avec ou sans espoir de retour, c'est-�-dire
des citoyens � part enti�re et des chr�tiens pleinement engag�s dans
l'Eglise de leur pays d'adoption, et non pas des Libanais d'emprunt ou des
Maronites au rabais. Dans le sens d'une �volution naturelle et n�cessaire,
parce qu'oppos�e � la double all�geance de type sioniste, j'ai pens� pouvoir
aider les miens � se qualifier pour un meilleur service des patries et des
Eglises qui sont d�sormais les leurs. J'ai pens�, en leur offrant une
expression de leur h�ritage susceptible d'�tre assimil�e par ceux qui ont
acquis une formation universitaire, que cet h�ritage politique, culturel et
eccl�sial de leurs anc�tres, pouvait, s'ils le d�sirent, valoriser leur
participation au devenir politique, culturel et eccl�sial qui est maintenant le
leur. Aussi allait-il de soi que cette participation pourrait pr�tendre � un
double r�sultat et que loin d'ali�ner les int�ress�s par rapport � leurs
origines ou de les �tablir dans l'inconfort de la double all�geance, elle
�tait � m�me d'�tablir entre leurs origines et leur avenir une communication
de m�tissage cr�ateur.
Tel �tait mon propos, quand la guerre du Liban a pris les dimensions de la catastrophe que l'on sait et que j'ai vu dans les m�dias, la participation des Maronites � cette guerre faire rejaillir sur notre histoire les vues les plus fantaisistes, quand elles n'�taient pas manifestement inspir�es par le m�pris et la calomnie. C'est alors qu'un nouveau propos de la Pentalogie a doubl� le pr�c�dent et l'a en quelque sorte distanc�. Faut-il le regretter? Je ne peux qu'enregistrer le fait et avouer que l'�laboration de mon Recueil en vue de la Diaspora a pris alors un tour plus pr�cis en fonction de la guerre. Il fallait ne pas r�pondre aux calomniateurs, mais manifester la tradition de la r�sistance dans la solidarit�. Il fallait, face aux propositions r�ductrices et nivelantes d'entente � bon march�, revendiquer la rencontre valorisante et l'union personnaliste des "droits � la diff�rence". Il fallait, par-dessus tout, manifester que la recherche passionn�e de l'identit� maronite n'avait jamais abouti que dans la rencontre et la reconnaissance de l'autre, et que le jour o� les Maronites perdraient leur r�le de m�diation entre les religions, les civilisations et les peuples, ils perdraient, avec le meilleur de leur h�ritage, leur raison d'�tre.
De cet h�ritage donc, certaines expressions sont ici r�unies dans une
grande diversit� et je ne pense pas l'avoir soumis � une id�e pr�con�ue, en
le proposant dans une lecture � trois registres, comme cela va �tre encore
pr�cis�. Il se trouve seulement que la guerre a urg� le dessein personnel que
j'avais con�u et que cette �uvre du temps de guerre m'a amen� � envisager le
temps maronite avec l'acuit� qui sied non aux monuments de science, mais aux
�uvres de combat. Aussi aurai-je � dire en quoi cette situation a marqu� la
r�daction et l'�dition de l'�uvre. Voici comment elle en a marqu� le contenu.
TROIS REGISTRES DE L'HISTOIRE MARONITE
La pr�sentation d'ensemble que je propose au lecteur n'est pas un r�sum� de
ce Recueil, ni une clef qui en ouvre toutes les portes. C'est plut�t un
�clairage qui refl�te la lecture que j'en fais moi-m�me et les intentions que
j'y reconnais en profondeur, apr�s coup, mes desseins personnels se confondant
avec le projet maronite qui court sur des si�cles.
1. On reproche g�n�ralement aux Maronites
d'avoir servi "le retour des chr�tiens d'Orient � l'unit� romaine",
en contribuant � la cr�ation d'Eglises uniates. Et de fait, il y a encore des
Maronites de la g�n�ration de mes ma�tres, voire de la mienne, � se
pr�valoir de ce r�le, non sans revendiquer toujours leur "perp�tuelle
orthodoxie" et un attachement sans faille au Si�ge de Pierre, au premier
comme au deuxi�me mill�naire.
Je ne ferai pas � mes amis �cum�nistes l'injure de consid�rer que tel est le
filon principal de ce Recueil dans son propos �cum�nique. Mais je ne leur
�pargnerai pas la peine, � eux comme � moi-m�me, de suivre ce cheminement
typiquement maronite et, comme on ne refait pas l'histoire avec des id�es,
fussent-elles tr�s g�n�reuses, mais qu'on la re�oit telle que les hommes
l'ont faite, de consid�rer ce cheminement tel qu'il fut, d'essayer de le
comprendre et, en fin de compte, de lui faire porter ses fruits.
Certes, cet "�cum�nisme" de mes p�res n'a rien de commun avec l'�cum�nisme
d'aujourd'hui. C'est n�anmoins avec cet �cum�nisme-l� que l'Orient syrien a
secou� sa l�thargie ottomane et que, bon gr� mal gr�, le probl�me de
l'unit� chr�tienne d'Antioche n'est plus une question � r�gler entre Latins
et Grecs, mais entre Antiochiens, c'est-�-dire principalement entre Melkites
Orthodoxes et Maronites. Les uns se sont partiellement latinis�s et les autres
compl�tement byzantinis�s. Mais ni les uns ni les autres n'ont perdu leur
identit� commune dans l'Orient syrien et moins encore leur commun devenir. Ils
ne vont pas se retrouver "�cum�niquement" en r�conciliant deux
Eglises imp�riales, fussent-elles reconnues comme s�urs, mais en �tant
ensemble, au milieu de l'Eglise une, exigence et pr�mices de l'unit�.
Ai-je besoin de dire que cet �cum�nisme que je dis "antiochien" ou
"d'Orient syrien" et par lequel j'entends converger avec l'Eglise des
Arabes du P. Jean Corbon et me solidariser avec la proposition de "concile
antiochien" du Patriarche Ignace IV Hazim, n'est pas plus en accord avec l'�cum�nisme
en cours qu'avec celui des Maronites traditionnels? Aussi ne vais-je pas le
d�velopper davantage pour ne pas sortir du sujet tel qu'il se propose dans les
textes du pr�sent Recueil. Mais il aura bien fallu le dire, pour montrer que le
projet d'union des Eglises que les Maronites ont servi depuis la Contre-R�forme
et dans sa ligne, s'il est bien pass� de mode, n'a pas fini de contester l'�cum�nisme
qui pr�vaut � l'heure actuelle.
Je rappelle � cet �gard que la Pentalogie antiochienne / domaine maronite ne
fait que reprendre et d�velopper une �uvre con�ue et r�alis�e dans le cadre
de Vatican II sous le titre d'Antiochena. Cette Pentalogie pourrait �tre
consid�r�e comme une sorte d'Antiochena Bis, i.e. une d�fense de la rencontre
et de l'unit� des Eglises dans l'Eglise, diff�rente d'un autre projet de
r�conciliation entre Eglises. Cet autre projet pr�conise notamment de
r�concilier l'Eglise d'Orient et l'Eglise d'Occident, l'Orient se pr�valant de
privil�ges inali�nables face � l'Eglise de Rome et les Uniates n'ayant qu'�
rentrer dans les rangs de l'Orthodoxie.
Pour n'avoir gu�re servi un tel projet, celui des Maronites d'antan n'en a pas
moins le m�rite de manifester un certain anachronisme des �cum�nistes
r�conciliateurs d'aujourd'hui, lesquels retournent en somme aux plus beaux
jours de Lyon et de Florence, avec la diff�rence que cette fois-ci, c'est le
Si�ge de Rome qui fait toutes les concessions.
Dieu merci, les Antiochiens ont mieux � faire et entre-temps, � offrir.
Ind�pendamment de tout d�bat, le pr�sent Recueil verse, non dans la
controverse entre Eglises, mais dans le sein de l'Eglise, une partie de son
tr�sor le plus pr�cieux, sa pri�re canoniale et eucharistique. Les tomes III
et IV de cette Pentalogie lui sont enti�rement consacr�s. Et ils le sont comme
une mise en commun de notre vie dans l'Esprit. Le propos proprement �cum�nique
de ce Recueil est ainsi d'acheminer dans sa simplicit� et sa ferveur
premi�res, ind�pendante des Latins et des Byzantins, et offerte dans la
confiance � tout croyant, la pri�re d'Antioche du premier mill�naire. Faite
de doxologies et de trisagions, de s�dr�, de mazmours et de bo'outs, cette
pri�re qui culmine dans les anaphores eucharistiques, repr�sente encore
l'expression unanime de notre foi et de notre culte, quand, nonobstant
h�r�sies et schismes, Antioche �tait une, avec toute l'Eglise.
2. On a �galement reproch� aux Maronites d'avoir
servi depuis le temps des Croisades et surtout, depuis le XVIe si�cle, le
projet d'interventionnisme europ�en, surtout fran�ais, en Orient, et d'y avoir
am�nag� une sorte de t�te de pont qui a permis � certains de parler au xixe
si�cle de "France maronite".
Beaucoup de pages de la Pentalogie sont consacr�s � ce sujet. Je peux
d'ailleurs conseiller au lecteur qui aborde les Maronites pour la premi�re fois
de commencer par ce que les Fran�ais en ont dit. Je signale en particulier, au
tome 1er, section 2, le trait� de Jean de Roque, au temps de Louis XIV, puis
dans l'anthologie r�unie dans la section 7 du m�me tome, ce qu'�crivent
Lamartine et Poujoulat apr�s 1860, et Barr�s avant et apr�s la premi�re
guerre mondiale.
Mais pour le propos pr�cis des relations entre les Maronites et la France, je
renvoie plus particuli�rement au rapport adress� � Louis XIII par
l'ambassadeur Savary de Br�ves. On y verra que la politique de la France en
Orient qui est expos�e dans ce rapport avec une hauteur et une franchise
exemplaires, est une politique musulmane et que les chr�tiens d'Orient, et en
premier lieu les Maronites, sont subordonn�s � cette politique. Il ne s'agit
pas d'une politique fran�aise des chr�tiens d'Orient qui d�termine les
relations de la France avec la Sublime Porte. C'est exactement l'inverse.
C'est pr�cis�ment avec une telle politique que les Maronites ont fait leur
�uvre et, nonobstant les intentions des uns et les int�r�ts ou les trahisons
des autres, c'est avec cette politique-l� qu'ils ont fait aboutir et ent�riner
au xxe si�cle ce qui aurait pu �tre r�alis� et consacr� d�s le temps
d'Henri IV. Ce n'est cependant pas avec le roi de France et de Navarre que les
Maronites travaillaient � l'�poque, mais pour le compte de l'Emir Facardin,
avec le Grand Duc de Toscane. Gr�ce au concours militaire, �conomique et
culturel de l'Europe renaissante, l'Emirat dit "druze" devait alors
avoir raison du pouvoir ottoman et �tablir, d'Antioche � J�rusalem,
l'autonomie "libanaise".
On sait ce qu'il en est advenu et comment le projet a �t� noy� dans le sang
de l'Emir et les eaux du Bosphore. Mais entre l'histoire et une l�gende plus
parlante encore que l'histoire au c�ur de ses promoteurs, cet �pisode montre
bien la constante du combat politique des Maronites. Tributaire oblig� d'un
partenaire non chr�tien, il ne se lie � l'Europe que pour mieux asseoir en
Orient une autonomie non pas maronite, mais nationale. C'est m�me le premier
projet d'autonomie nationale en Orient des Temps Modernes. Il a fallu attendre
deux si�cles pour qu'apr�s le coup de boutoir de Bonaparte, l'Egypte des
kh�dives se r�veille et secoue le joug � son tour. Mais dans l'un et l'autre
cas, c'est bien le m�me combat et c'est lui qui a fini par triompher de
l'empire ottoman: contre toute esp�ce de pouvoir de type califal ou sultanien,
asseoir l'ind�pendance des Etats-nations dans un cadre libre d'unit� et de
solidarit� arabe.
Avant de montrer, troisi�me volet du propos de cette Pentalogie, en quoi ce
projet politique pour lequel les Maronites ont �uvr� avant tous les autres,
correspond � un projet culturel, et comment leur "libanisme" est la
pierre angulaire de l'arabit�, puis-je mentionner que le propos de ce Recueil a
trouv� dans la guerre une intention pr�cise? Dans l'antagonisme des Blocs qui
a remplac� en Orient arabe le jeu des Puissances et de la Sublime Porte, ce
Recueil en fran�ais s'inscrit dans le projet maronite comme instrument de
continuit� historique. Il le fait � l'encontre d'une volont� h�g�monique
manifeste, celle qui veut briser l'axe Beyrouth-Paris et satelliser le Liban
dans l'orbite anglo-saxonne.
D'une mani�re plus pr�cise encore, ce Recueil entend manifester en quoi la
tradition maronite, irr�ductiblement autonomiste, mais non moins pers�v�rante
dans son effort de solidarit� oblig�e avec la population du Liban et les
peuples de l'Orient, est � l'oppos� du projet sioniste dans la forme
exacerb�e qu'il a prise depuis la proclamation de l'Etat d'Isra�l. Du m�me
coup, ce projet rejoint les meilleurs des religieux, des intellectuels et des
militants juifs qui jusqu'en 1948 et encore apr�s, avec Martin Buber et le
fondateur de l'Universit� H�bra�que, Judah Magnes, voulaient une coexistence
active et mutuellement b�n�fique entre juifs, chr�tiens et musulmans en
Palestine, � la mani�re de la convivialit� islamo-chr�tienne au Liban.
De ce fait, il n'y a aucune contradiction, mais continuit� logique et promotion
fervente du m�me projet, lorsque des Maronites prennent fait et cause pour la
paix dans la justice faite aux Palestiniens dans leur patrie. Ce sont d'ailleurs
les Maronites les plus c�l�bres qui ont pris en charge ce dossier, puisqu'ils
vont de N�gib Azoury qui fut le premier � poser le probl�me palestinien au c�ur
du "r�veil de la nation arabe", � Soleiman Frangi� qui est le seul
des chefs d'Etat arabes � avoir port� la cause palestinienne � la tribune des
Nations Unies.
3. On peut estimer que l'entreprise politique des
Maronites et leur dessein �cum�nique n'ont que partiellement r�ussi. Non
seulement l'unit� chr�tienne d'Antioche comme creuset nucl�aire de l'unit�
universelle de l'Eglise n'est encore qu'un v�u, mais le projet des Etats-nations,
pluralistes, d�mocratiques et conviviaux au sein de l'unit� arabe, est de plus
en plus bafou� au Liban, en Palestine et "du Golfe � l'Oc�an".
Il n'en est pas de m�me du projet culturel, troisi�me et principal volet de
l'entreprise maronite entre l'Orient et l'Europe. J'estime que dans ce dessein,
les Maronites ont pleinement r�ussi, au moins jusqu'aux derniers accidents de
parcours, il est vrai, graves. On peut dire d'une certaine mani�re, que tout
l'Orient est devenu culturellement maronite, dans la mesure o� il a fini par
adopter la position intellectuelle et vivante que les Maronites furent les
premiers � prendre entre l'Orient et l'Europe.
Nous comm�morons cette ann�e m�me le 4e centenaire de la fondation par
Gr�goire XIII du Coll�ge maronite de Rome et j'ai pu suivre
professionnellement l'�laboration en Sorbonne d'une th�se consacr�e par le P.
Nasser Gemayel � ce sujet. Le propos de ce Recueil - qui n'est pas consacr� �
un sujet, f�t-il capital, mais � l'ensemble de l'itin�raire maronite - entend
manifester la m�me chose que l'�uvre du P. Nasser, lequel a d'ailleurs �tendu
son investigation jusqu'� la fondation en 1789 du coll�ge de "Ayn Warqa,
exact correspondant au Liban de ce que fut le coll�ge maronite � Rome.
L� aussi, nous avons �t� accus�s de servir une entreprise de type colonial,
encore plus dangereuse sur le plan culturel que sur le plan politique, du fait
qu'elle aurait �tabli plus durablement notre d�pendance �conomique par
rapport � l'Occident industrialis�.
Je reconnais que l� plus qu'ailleurs, des Maronites et des Orthodoxes qui
professent le maronitisme politique avec z�le, donnent parfois dans le panneau,
soit en pr�conisant le bilinguisme, national et institutionnel, soit en
pr�nant une "langue libanaise". Mais le d�bat sur les langues ne
vient qu'en tierce position dans l'entreprise culturelle des Maronites que
j'estime exemplaire pour l'Orient, du fait que l'Orient l'a effectivement
homologu�e.
En premier lieu, il y a l'adoption des moyens de la recherche, scientifique et
technique, �labor�s en Europe occidentale, depuis le Quattrocento. Dans ce
cadre, l'imprimerie est l'instrument technique privil�gi� pour la diffusion
des donn�es inventori�es par la recherche scientifique.
En deuxi�me lieu, la recherche s'applique � inventorier le patrimoine
historique, philosophique, scientifique et artistique de l'humanit�. Le retour
� l'Antiquit� n'est qu'un aspect de cette op�ration-inventaire, mais il est
essentiel dans la mesure o� il prot�ge toute reconnaissance d'identit� contre
un choix arbitraire dans le temps et lie toute reconnaissance nationale du m�me
ordre, � la totalit� de l'h�ritage.
Jusqu'ici, il n'est pas question de langues, mais d'humanisme, et c'est bien cet
humanisme de l'Europe renaissante, bien avant celui de l'Europe des Lumi�res,
que les Maronites ont adopt� et servi et qui est devenu le bien commun de tout
l'Orient arabe.
En quoi toutefois l'humanisme des Maronites peut-il diff�rer encore de cet
humanisme de l'intelligentsia, sinon du commun des Arabes, et en quoi les
langues ont une importance en la mati�re?
La diff�rence me para�t s'�tablir sur deux points:
a. Quand on prend globalement, non plus l'attitude
humaniste, mais le contenu en quelque sorte mat�riel de l'h�ritage, on
constate que les Maronites s'arabisent au moins depuis le xie si�cle, puisque
le premier monument de leur droit et de leur spiritualit�, avec lequel le
lecteur peut faire connaissance au fascicule 3 du tome 1er, n'existe plus qu'en
arabe. C'est le Kit�b al-Huda ou Livre de la Direction. D'autre part, cette
arabisation est quasi totale depuis le XVIIIe si�cle. A cette date, en effet,
les Maronites prennent � Alep cent ans d'avance sur la Renaissance
syro-libanaise qui va trouver en Egypte son terrain d'�lection et d'expansion.
Mais d'un bout � l'autre du deuxi�me mill�naire de notre �re, l'arabisation
des Maronites n'a jamais eu raison du syriaque, non seulement dans la liturgie,
mais encore comme arri�re-plan et source profonde de culture.
Ce faisant, la tradition maronite ne se m�nage pas un particularisme, si
l�gitime que cela aurait pu �tre: elle pr�sente une requ�te � laquelle tous
les Arabes soucieux de la compl�tude de leur culture et de son r�le mondial
devraient �tre sensibles. Une arabit� digne de ce nom ne peut pas rester
�trang�re au syriaque comme langue s�ur de l'Arabe dans un s�mitisme commun.
Elle peut l'�tre encore moins, compte tenu du privil�ge unique du syriaque sur
toutes les langues s�mitiques, celui de m�diatiser les concepts, les
cat�gories et la culture grecs. Le syriaque est donc au c�ur de l'arabit�,
non seulement le rappel de ses communes origines s�mitiques, mais le canal
oblig� de l'option libre faite par l'arabit� � son �ge d'or, quand
l'arabit� puisait � la source grecque.
b. En ce qui concerne les langues modernes,
j'observe que les Maronites ne se sont mis pratiquement au fran�ais, ou en tout
cas n'ont produit en fran�ais, que depuis le si�cle dernier. Cependant, le
jour o� ils ont �prouv� le besoin de communiquer avec l'Europe, les Maronites
ont �prouv� le besoin concurrent de lui apprendre les langues de l'Orient et
pour cela, d'apprendre eux-m�mes les langues de l'Europe. C'est une exigence
essentielle du dialogue, quand il veut pleinement respecter les lois de
l'hospitalit�. Elle l'est plus encore quand l'homme de dialogue ne veut pas
rester un simple r�cepteur et en somme un consommateur, quand il ne veut pas
jouer un r�le de mercenaire, mais qu'il revendique celui de partenaire.
Certains coloniaux n'ont jamais pris soin, d'enseigner la langue de leur
puissance aux peuples colonis�s. Ils se sont content�s de leur parler un
"basic", comme Charles-Quint disait qu'il parlait allemand � son
cheval. Les Maronites qui n'ont jamais eu les complexes d'un peuple colonis�
par l'Europe ne l'ont pas entendue de cette oreille. Ils rappellent donc aux
Arabes ce que les Arabes avaient appris d'eux-m�mes quand ils �taient
cr�ateurs et non pas consommateurs. La ma�trise d'une langue �trang�re,
moyen salutaire d'une catharsis intellectuelle, est aussi l'instrument oblig�
de la cr�ation dans la modernit�.
J'utilise ce mot de modernit� pour la premi�re fois dans cette introduction.
Il pourrait d�sormais coiffer l'ensemble de mon propos comme auteur de la
Pentalogie antiochienne / domaine maronite. Je renvoie d'ailleurs le lecteur �
la fin du dernier tome o� je n'h�site pas � caract�riser notre Eglise
elle-m�me comme �tant "une Eglise de la modernit� culturelle".
Il n'en reste pas moins vrai que c'est d'abord et toujours, "une Eglise de
l'asc�se et de la louange divine", comme cela est �galement illustr� en
son lieu et c'est ainsi qu'elle a form� "un peuple �pris de libert�,
quoique toujours en mal de convivialit�" (cf. t. V, 3e Partie, M�moire
d'espoir). Alors quelle que soit la probl�matique o� il se trouve engag� avec
l'auteur de ce Recueil, veuille le lecteur entrer dans cet h�ritage d'un esprit
libre et d'un c�ur ouvert. Tout ce qui lui a �t� dit jusqu'ici et qui para�t
tr�s conflictuel ne l'a �t� que pour d�gager le terrain et comme pour
chasser les nuages. S'il pr�f�re d'ailleurs l'image aux textes, qu'il le fasse
et qu'il commence par les images.
Mais les images le ram�neront au texte et je ne doute pas qu'ici et l�, il ne
devienne, dans la familiarit� de l'�me maronite, plus pacifique et plus humain.
Pour gorg�s d'�preuve qu'aient �t� les Maronites tout au long de leur
histoire, avec tout ce que cela imprime sur un peuple de rudesse, de m�fiance
et de fiert� bless�e, la reconnaissance de leur h�ritage devrait donner �
celui qui l'aborde cela m�me dont elle a surabondamment gratifi� l'auteur de
ce Recueil: une joie au-del� de toute rancune ou amertume, une confiance
mesur�e � la seule immensit� des p�rils, et par-dessus tout, une incessante
action de gr�ces.
Je vais dire, au terme de cette introduction, avec qui et � l'exemple de qui,
je vis cette attitude.
Evocation Finale
Je m'�tais r�solu pour cet excursus initial � ne citer aucun des vivants dont
je suis tributaire, et � m'en tenir aux morts. Je pensais que cela me serait
plus facile, en raison du grand nombre de correspondants encore en vie que je
devrais remercier et du risque que je courais d'en oublier certains. On va voir
que je me suis, en fin de compte, acquitt� de ce devoir et que je suis loin de
m'en trouver quitte, malgr� l'ampleur du m�mento qu'on peut lire plus loin. En
revanche, je renonce � ouvrir cette fois-ci le registre du s�jour d'o�
l'�ternit� projette ses rayons sur toutes les pages de ce Recueil.
J'en veux pour simple exemple, celui de mon arri�re-grand-p�re par ma m�re.
Dans l'un de mes premiers souvenirs d'enfance, je le vois encore enfourcher sa
jument grise � 90 ans pass�s (3), pour
aller participer � l'inauguration d'une statue � la m�moire de Youssef bey
Karam. Il avait �t� en effet, l'un des hommes de combat du h�ros du Liban,
mort exil� en 1889.
C'est dire que ce chapitre des morts est unique et qu'il englobe tous ceux qui
entre la g�n�ration des miens qui ne sont plus et celle des premiers disciples
de Maron, pr�tre et moine du temps de Jean Chrysostome, forment une seule et
m�me famille que je comm�more. Le chapitre des morts n'est donc pas ouvert ici,
parce qu'il embrasse la totalit� de ce Recueil.
Le lecteur ne manquera pas d'y voir �merger du milieu de la grande nu�e de
t�moins qu'il �voque, ceux dont la stature m'a inspir� autant d'humilit� que
de ferveur admirative. Je compte ainsi les heures que j'ai pass�es � lire et
� traduire le Patriarche Est�phane Douayhi comme l'une des grandes
b�n�dictions de ma vie. Mais je ne faisais l�, � l'or�e du troisi�me �ge,
que revenir aux lectures de mes jeunes ann�es dans les livres de mon p�re et
de mes grands-p�res, cur�s de paroisse.
Dans ce retour passionn� au sein de ma m�re que repr�sentent l'�laboration
et la r�daction de la Pentalogie antiochienne / domaine maronite, je souhaite
naturellement que le lecteur se porte vers les sommets o� les plus nobles
d'entre les gens de Beth Maroun se sont tenus � cause de l'�pret� du sort qui
avait �t� leur partage. Mais dans ces conditions, les plus obscurs des
t�moins de la maronit� que j'ai pris soin de d�couvrir sont � la m�me
altitude, pierreuse et d�nud�e. Ils ne sont donc pas propos�s � la
curiosit� du lecteur, mais, au m�pris de tout sensationnel, � sa qu�te de
sagesse.
De ce fait, son regard se portera � tous les tournants du chemin, vers celle
que nous invoquons comme le Tr�ne de la Sagesse et que tous les miens ont
b�nie de g�n�ration en g�n�ration, parce que Dieu avait daign� distinguer
l'humilit� de sa servante. Dans le combat multis�culaire qui fait de
l'histoire du peuple maronite une suite ininterrompue d'avanies et de douleur,
le lecteur trouvera un secret de joie et de fiert� et il saura pourquoi la
m�re d'un crucifi� est notre m�re et notre souveraine.
C'est � ses pieds que je d�pose, avant que plus d'une �tape de cet
itin�raire ne m'en redonne l'occasion, l'humble hommage de ce Recueil. Je n'en
attends en fin de course qu'un plus grand amour de son nom et nonobstant les
tristesses du temps pr�sent, quelque exaltation, aux limites de l'ivresse, en
songeant � la gloire que pour son honneur, Dieu a jet�, tel un voile de
splendeur, sur le Mont-Liban.
Note de l'auteur : � � Je tiens �
signaler � ce propos la grande diff�rence qu'il y a entre mon Recueil et les
Documents diplomatiques et consulaires, relatifs au Liban, dont mon ami
l'Ambbassadeur Ismail a entrepris la gigantesque et d�sormais indispensable
publication. Si on a pu lui reprocher de ne pas donner l'int�gralit� des
textes, ce qui reste � voir, je crois devoir �chapper au reproche qui
pourrait n'�tre fait � cause des suppressions que j'ai pratiqu�es dans
certains textes. Elles sont toujours signal�es par des points de suspension
entre crochets. S'il y avait quoi que ce soit de g�nant dans ces coupures,
c'est tout le texte que j'aurai laiss� de c�t�, puisque rien ne m'obligeait
� le prendre. Il s'agit d'ailleurs dans un grand nombre de cas, de textes
d�j� publi�s mais difficiles d'acc�s. Celui qui tient absolument � savoir
ce que j'ai supprim�, n'a qu'� y aller voir, comme je l'ai fait. Quant aux
manuscrits in�dits que j'ai traduits, mes suppressions qui ne d�passent pas
quelques lignes dans tout le Recueil, repr�sentent des expressions et parfois
des phrases qui ont r�sist� � mes investigations, mais qui, en toute
hypoth�se, ne touchent pas � la substance du texte. Dans le cas notamment de
Hindiy�, du Patriarche Jean de Lehfed et de Kamal Joumblat, ce sont dans la
plupart des cas, des redondances ou des p�dantismes. Enfin, je dirai � la
fin de cette introduction, pourquoi, � l'�cole de L�on Bloy et de Louis
Massignon, je n'ai ni supprim� ni annot� des passages o� les erreurs
historiques sont apparemment �videntes.
Notes personnelles
(1) De grandes parties de ce travail compl�mentaire restent non publi�es � aujourd'hui, 10 ans apr�s la mort soudaine de notre auteur en 1995.
(2) Cet ouvrage fut achev� en 1984, au plus haut de la guerre civile libanaise.
(3) Lahoud Jabbour Samyia de Kfarsghab (1838 - 1933)
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